Le système de santé français : un besoin urgent d’adaptation

10 Mai 2016

La France tente de faire bouger son système de santé avec la nouvelle réforme de 2015 et une nouvelle convention médicale en cours de négociation. Mais ces changements sont-ils à la hauteur des transformations engendrées par le développement des innovations médicales et par le numérique ?

Les coupes budgétaires réduisant les marges de manœuvre pour résoudre le problème des déserts médicaux, de plus en plus d’élus se disent tentés par la suppression de la liberté d’installation des praticiens. Guy Vallancien, chirurgien français, membre de l’Académie Nationale de Médecine et de Chirurgie, s’est exprimé sur ces sujets dans le journal l’Opinion. Retour sur ses dires :

« Le Sénat vient d’organiser un débat sur les déserts médicaux. Faux ou vrai problème ?
Les sénateurs n’ont pas compris que les jeunes médecins n’étaient plus les « hussards blancs de la République » taillables et corvéables à merci. Nos élus veulent un médecin dans chaque village et n’entendent que ceux qui se plaignent. Les jeunes médecins, souvent des femmes, ne s’installeront plus dans les coins où il n’y a quasi-personne et c’est bien compréhensible. Il faut développer les coopérations de tâches et de compétences avec les infirmières de niveau master, capables d’assurer une bonne partie des soins à la place et en lien avec les médecins, à partir des maisons de santé où les professionnels se regrouperont. Des cabinets secondaires assureront le relais dans les campagnes et banlieues à partir de ces plateformes de premier recours.

Faut-il soutenir l’exercice libéral de la médecine et si oui, comment ?
La médecine libérale est morte. Les médecins libéraux aujourd’hui sont déjà en grande partie subventionnés et les vrais libéraux (ceux qui exercent hors convention) sont très minoritaires. J’estime qu’il faut plutôt parler de « médecine entrepreneuriale » qu’on peut soutenir en maillant le territoire de 8 000 à 10 000 maisons de santé. Ces PME sanitaires à grande amplitude horaire d’ouverture auront les moyens d’assurer les petites urgences et seraient reliées par télémédecine aux centres experts des cliniques et des hôpitaux, comme aux médecins spécialistes de ville. Au troisième niveau nous aurions la haute expertise des CHU pour les cas les plus complexes et pour développer l’innovation.

Encore faut-il que la population de médecins généralistes ne continue pas de reculer…

En effet, la primauté devrait être au médecin généraliste que je préfère appeler le médecin global. C’est le « médecin de famille » chargé d’intégrer toutes les données des autres praticiens et les traduire en termes clairs à son malade. Il faut valoriser ces médecins mieux que les spécialistes (dont une partie est d’ailleurs vouée à disparaître) afin que leur nombre ne baisse pas. Pour cela, il faut des consultations longues mieux rémunérées ; notre système favorise au contraire une médecine qui multiplie les examens complémentaires inutiles.

Cette redondance des examens complémentaires aurait dû être empêchée par le dossier médical personnel. Pourquoi met-il tant que temps à se mettre en place ?
C’est un projet qui a été lancé à la va-vite avec une vision trop administrative. On a voulu mettre trop d’informations dans cet outil sans comprendre comment fonctionnent les médecins entre eux. Il faut repartir de zéro et revenir à un dossier très simple : quelques items pour commencer (les traitements, les allergies et les gros risques). Cela étant dit, c’est un dossier difficile qui a aussi connu des bugs de développement à l’étranger où des projets similaires ont été lancés.

Vous avez fondé l’Ecole européenne de chirurgie, pour former les spécialistes aux techniques nouvelles. Quel impact ces nouvelles techniques vont-elles avoir sur la médecine ?
Deux éléments majeurs sont en train de changer la médecine. D’abord les maladies deviennent muettes. Leur apparition est de plus en plus détectée en amont car nous n’attendons plus l’apparition des symptômes pour faire un diagnostic : mes yeux, mes mains et mes oreilles de médecin qui sont des éléments subjectifs non quantifiables et non transmissibles laissent la place à la média-médecine faite d’imagerie et de biologie, mesures objectives, quantifiables et transmissibles en un clic d’un bout à l’autre de la planète. Autrement dit l’examen clinique (étymologiquement celui que le patient subit en position couchée) est en train de disparaître au profit de l’examen technique. Cette évolution connaît une accélération spectaculaire avec les technologies numériques et les objets connectés. Deuxièmement, la démarche diagnostique historique du médecin consistant à agréger des éléments épars pour faire des hypothèses sera supplantée par des algorithmes réalisés par des ordinateurs. Pour les traitements des cancers, nous utiliserons de plus en plus les résultats du génotype, calculés aussi par ordinateur. En outre, le travail du médecin sera de plus en plus encadré par des normes et des recommandations de bonne pratique. Au final, son rôle essentiel – celui qui ne peut être délégué – se résumera aux cas où pour des raisons personnelles, familiales, socio-professionnelles, culturelles ou religieuses, le patient ne rentre pas dans la norme. Le médecin deviendra un « transgresseur » de réglementations pour répondre à la souffrance d’une personne unique. C’est son vrai rôle, c’est sa responsabilité.

Comment expliquez-vous que le système de santé français baisse en qualité alors qu’on loue encore la qualité du corps médical ?
Il y a une rupture entre une médecine qui connaît d’immenses progrès techniques et la fixité de l’organisation sanitaire. Le corps médical est sous la coupe d’une administration peureuse qui veut maintenir son pouvoir avec un seul but : la précaution. Nous souffrons en France d’un centralisme étouffant les initiatives locales. C’est aux régions qu’il faut donner l’argent et les moyens de l’organisation. Les Agences régionales de santé devraient seulement garantir l’accès aux soins de qualité pour tous, mais en laissant les acteurs libres de s’organiser, sans interférer dans la gestion au quotidien.

Quels pourrait être l’impact du numérique sur le fonctionnement même de la sécurité sociale ?
On s’oriente vers un système où la sécurité sociale gardera le risque lourd et les complémentaires se chargeront du petit soin mais qui ne resteront pas inactives dans la sélection des risques en adaptant leurs primes aux comportements de prévention de leurs adhérents. Ce qui pourrait également bouleverser le système est l’irruption du crowfunding dans le financement de la recherche médicale. Aujourd’hui, si chacun des 300 millions de diabétiques dans le monde décidaient de consacrer un euro par mois pour soutenir l’effort de recherche sur leur pathologie, on pourrait lever très rapidement autant d’argent que le budget du CNRS pour une maladie. C’est ce que j’appelle la « charité égoïste ».

Quelles ont été les dernières réformes les plus réussies selon vous ?
La mise en place de la tarification à l’activité par Jean-François Mattéi qui a mis fin aux dotations annuelles dans les hôpitaux a eu le grand mérite de mettre en évidence les hôpitaux où l’on travaillait et ceux où l’on ne travaillait pas même si cette réforme ne permet pas de tenir compte de la qualité. Claude Evin et Xavier Bertrand ont beaucoup fait pour la santé publique. La loi HPST de Roselyne Bachelot qui organisait notamment la convergence entre les acteurs privés et publics était une bonne idée, mais elle a été édulcorée par le Parlement, puis complètement dénaturée par Marisol Touraine. La dernière réforme a braqué inutilement les médecins avec le tiers payant, une mesure démagogique qui n’apporte rien.

La Cour des comptes déplore la lenteur des recompositions hospitalières et le maintien du caractère « hospitalo-centré » du système de soins. Comment accélérer le mouvement ? La création des groupements hospitaliers de territoire est-elle une bonne solution ?
Il faut concentrer les hommes et les femmes sur un nombre restreint de plateaux techniques et ne plus entretenir les petites maternités ou les petits services de chirurgie, mais susciter la création de véritables entreprises hospitalières aux moyens financiers adaptés. Le problème des groupements hospitaliers de territoire, c’est qu’il s’agit simplement d’une concentration à visée comptable pour faire des économies d’échelle. Le secteur privé n’y est pas associé sauf à renoncer à tous dépassements d’honoraires alors que les hôpitaux publics peuvent eux continuer à maintenir une activité libérale avec dépassements au sein de l’hôpital. On est au royaume d’Ubu. »

Sources :
http://www.lopinion.fr/edition/economie/systeme-sante-francais-doit-s-adapter-xxie-siecle-100992
http://www.vallancien.fr/

Comptabilité Médicale à Bordeaux et en Gironde © 2024 mentions légales - plan du site Site Internet par KN'Design